Les métamorphoses de l’humanitaire

Cet article, extrait de l'introduction du guide de management associatif et public La performance à but humain, dresse quelques très grands traits de l’histoire de l’humanitaire, car c’est à travers cette évolution que l’on peut au mieux saisir les enjeux d’aujourd’hui.
La notion d’« humanitaire » est considérée ici au sens très large, qu’il s’agisse d’aide humanitaire telle qu’on la conçoit généralement (action d’urgence et ponctuelle en situation de crise – conflit ou catastrophe naturelle) ou d’aide au développement. En effet, cette dernière a pris une place de plus en plus importante au cours des soixante dernières années. Plus récemment, avec la prolongation des conflits, « […] la ligne de démarcation entre humanitaire et aide au développement a bougé. (1) »
Le concept est d’autant plus large que les entités humanitaires agissent au niveau tant international qu’à l’échelle d’un pays ou d’un canton, tant dans les pays en voie de développement que développés.
De la charité à la compassion organisée
Les notions de don et d’aide n’ont cessé d’évoluer depuis la parabole du Bon Samaritain et la conception de la charité comme gage d’entrée au Paradis (2), jusqu’aux aides humanitaires d’urgence et au développement coordonnées au niveau mondial, avec l’idée grandissante de la compassion comme recette de développement personnel.
Ces transformations se sont accélérées depuis le XVIIIe siècle et surtout depuis l’industrialisation et la médiatisation internationales, qui ont fourni de nouveaux moyens d’action et de communication.
La naissance du Purgatoire
Après une longue période de charité dans la crainte de l’enfer et d’interminables débats théologiques sur le sujet, naît chez les catholiques le concept de Purgatoire à la fin du XIIe siècle. Le rachat de péchés devient désormais encore possible après la mort. Le Purgatoire constitue une véritable « révolution mentale » qui suppose un « […] libre arbitre de l’homme […] jugé selon les péchés commis sous sa responsabilité. (3) » ; le lien entre charité et justice de Dieu est encore confirmé par le Traité de Sainte Catherine de Gênes au XVe siècle (4).
A la même période, Nicolas Rolin, chancelier des ducs de Bourgogne, fonde les Hospices de Beaune avec son épouse Guigone de Salins et écrit : « Moi, Nicolas Rolin, […], en l’an de Seigneur 1443… dans l’intérêt de mon salut, désireux d’échanger contre des biens célestes, les biens temporels… je fonde […] un hôpital pour les pauvres malades. »
L’égalité universelle
La révolution française de 1789 marque un tournant. Il est alors question d’égalité universelle, les Droits de l’Homme sont déclarés et ils seront encore renforcés par la suite, après la Deuxième guerre mondiale ; la communauté internationale jure de ne plus laisser se reproduire de telles atrocités (5).
Entre la Déclaration et son renforcement ultérieur, l’histoire de l’humanitaire connaît d’importants bouleversements.
La Croix-Rouge et le droit de la guerre
Le secours des blessés en temps de guerre, sans distinction de nationalité, s’organise internationalement grâce au visionnaire Henry Dunant, initiateur de la Croix-Rouge (1863).
Un droit de la guerre est rédigé, qui se précisera et s’amplifiera au cours du XXe siècle et particulièrement avec les expériences douloureuses des guerres mondiales.
Les colonisations européennes
Les colonisations européennes de l’Afrique du XIXe siècle ont fait l’objet d’une conférence pour organiser un partage géographique et calmer les tensions, moins de 20 ans après la découverte de mines de diamants.
Une aide au développement (santé et enseignement) s’est ensuite organisée, mais les budgets sont restés très limités, en outre l’aide n’était pas toujours adaptée et les décisions étaient prises par les seuls Européens. La décolonisation suivra, principalement pendant les années 1960.
La naissance de l’ONU et autres organisations
A la fin de la Première guerre mondiale, le traité de Versailles crée la Société des Nations, qui vise à préserver la paix. La Deuxième guerre mondiale connaît la naissance de la Déclaration des Nations Unies, signée en 1945 par 50 futurs Etats membres.
Le XXe siècle voit la création de nombreuses organisations internationales, dépendantes ou non de l’ONU, dont le Save the Children Fund (1919), OXFAM – Oxford Committee for Relief Famine (1942), l’UNICEF – aide humanitaire et de développement en faveur des droits des enfants (1946), le HCR – Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (1950), le PNUD – Programme des Nations Unies pour le développement (1965, fusions de programmes créées en 1949 et 1958), Médecins Sans Frontières (1971).
Aujourd’hui
Ces organisations internationales sont toujours actives et se sont développées. L’ONU compte à ce jour 193 états membres. Les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge sont présentes dans 189 pays.
Dernièrement, les médias n’ont cessé d’en parler : le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) (6) s’attend en 2015 à un déficit financier historique, les dépenses humanitaires ayant augmenté plus rapidement que les contributions étatiques (7). La progression des conflits et des migrations exige une présence accrue du CICR, qui doit puiser dans ses fonds et diversifier sa recherche de fonds.
Aujourd’hui, l’aide humanitaire doit faire face à des défis de taille. Elle est devenue de plus en plus dangereuse : les règles du droit international humanitaire sont plus fréquemment bafouées, les secouristes et les civils deviennent des cibles. Les conflits prennent de l’ampleur, l’argent manque et la crise migratoire est démesurée.
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(1) JOURDAN Alain, « La notion d’urgence humanitaire a changé », Tribune de Genève [en ligne], 21 septembre 2015, http://www.tdg.ch/news/standard/ notion-urgence-humanitaire-change/story/19490481.
(2) D’ANDLAU Guillaume, L’action humanitaire, ch. 1, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Que sais-je ? [éd. Kindle], décembre 1998, ISBN 2130494307.
(3) LE GOFF Jacques, La naissance du Purgatoire, ch. « Logique et genèse du purgatoire », Paris, Gallimard, coll. Folio Histoire [éd. Kindle], 14 novembre 2014, ISBN 9782072568022.
(4) THIBOUT Florent, « Sainte Catherine de Gênes, une sainte en Purgatoire », Paris, Revue Résurrection [en ligne], n° 76, juin-juillet 1998, http://www.revue-resurrection.org/Sainte-Catherine-de-Genes - une.
(5) NATIONS UNIES, Histoire de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme [en ligne], http://www.un.org/fr/documents /udhr/history.shtml. (6) Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est membre du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Il a pour mission d’aider les victimes de conflits armés et d’autres situations de violence, ainsi que de promouvoir le droit international humanitaire (droit de la guerre). L’aide humanitaire hors situations de conflits (par exemple en cas de catastrophes naturelles) est assurée par les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, coordonnées par leur Fédération internationale. En Suisse, il y a non seulement la Croix-Rouge suisse, mais également une association Croix-Rouge par canton, pour apporter une aide aux personnes vulnérables à l’échelle locale.
(7) MASMEJAN Denis, « Le président du CICR appelle la Suisse à accepter davantage de réfugiés », Le Temps [en ligne], 13 septembre 2015, http://www.letemps.ch/opinions/2015/09/13/president-cicr-appelle-suisse-accepter-davantage-refugies.